Depuis 3 ans, l'AAPPMA de [...] a mis en place un parcours nokill de 2,5km de long. Le plus important dans l'histoire, c'est que nous réalisons annuellement des pêches électriques sur ce parcours ET sur le parcours normal (avec prélèvement), dans des conditions identiques.
Etant chargé de l'étude des pêches et donc de l'analyse de l'impact réel du nokill, je viens de terminer l'analyse à T=3ans
L'an dernier, je vous avais déja proposé ça : http://freeflyfisher.over-blog.fr/article-26125228.html
Et ça, à lire en priorité : http://freeflyfisher.over-blog.fr/article-26122068.html
Voila donc l'analyse de 2009 !
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Compte rendu de pêche électrique
et le parcours «nokill» (sans prélèvements), après 2 années de nokill.
Introduction :
Nous disposons des données de deux pêches électriques réalisées en mai 2009 par l’AAPPMA de [...]. A noter que certains résultats seront comparés à ceux enregistrés en 2008 dans des conditions strictement identiques.
Une pêche a été réalisée sur le parcours «normal» et l’autre sur le parcours «nokill» le même jour par les mêmes pêcheurs. La surface de prospection est de 450m2 sur le «nokill» et de 550m2 sur le parcours «normal» (linéaire de prospection identique. La différence provient d'une variation de la largeur du cours d'eau entre les deux parcours.)
Indice Poisson Rivière :
Dans un premier temps, j'ai calculé la note de l'IPR (voir ONEMA) pour chacune des pêches électriques. Les résultats sont :
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Pour le parcours « nokill » la note est de 4,999 (Excellente)
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Pour le parcours « normal » la note est de 14,89 (Bonne)
Il apparaît donc que la population piscicole du parcours « nokill » est parfaitement conforme avec la typologie du tronçon de cours d'eau, mais que cette conformité diminue sur le parcours normal (déséquilibre entre la population piscicole et l'habitat).
Analyse approfondie de la population de Salmo trutta fario sur les deux parcours :
1) Résultats généraux :
Sur le parcours « normal » 95 individus ont été prélevés, dans un intervalle de tailles comprises entre 10cm et 37,5cm. Notez que 93 individus avaient été prélevés en 2008, 95 en 2007 et 2006.
Sur le parcours « nokill » 125 individus on été prélevés, dans un intervalle de tailles comprises entre 3cm et 37,5cm. Notez que seuls 75 individus avaient été prélevés en 2008.
On notera donc un effectif supérieur de 31,6% sur le parcours « nokill » par rapport au parcours normal.
2) Mise en évidence des cohortes :
Si je considère que la croissance de Salmo trutta fario est corrélée avec l’âge (en tenant évidemment compte des disparités imposées par l’hétérogénéité génétique et l’accès à la nourriture), alors chaque cohorte sera composée par des individus de tailles rapprochées.
L’hypothèse est que les individus dont les tailles sont rapprochées ont le même âge et font donc partie d’une même cohorte.
Grâce à cette hypothèse, je peux étudier chaque classe d’âge séparément. J’ai tenu compte d’une certaine marge d’erreur, car il est possible que des individus de deux cohortes différentes aient la même taille (diversité génétique et accès à la nourriture).
Grâce à l'étude numérique et graphique, il est donc possible de différencier les cohortes et d'obtenir les résultats suivants :
Tableau n°1 : Effectif par cohorte sur les deux parcours :
Graphique n°1 : Effectifs comparés par cohorte sur les deux parcours :
Cinq (5) cohortes sont différentiables sur les deux parcours.
A/ Effectif déficitaire pour la cohorte 2 :
On notera en priorité la présence d'un « creux », mettant en évidence un effectif déficitaire au sein de la cohorte n°2. Ce déficit est présent sur le parcours nokill, mais aussi sur le parcours « normal ».
Il semble que seule la cohorte 2 soit affectée par ce déficit alors que les autres en sont épargnées.
L'hypothèse d'une mortalité par pollution est donc à rejeter car elle n'aurait pas épargnée les autres cohortes (3, 4 et 5). La pression de pêche n'est pas à prendre en compte, car la cohorte est comprise dans un intervalle de tailles inférieures à la taille légale minimale de capture et n'est donc pas soumise aux prélèvements.
Il faut donc réfléchir à une dégradation ponctuelle (car la cohorte 1 ne semble pas impactée) ciblant spécifiquement la cohorte 2. Il est donc indéniable qu'elle est apparue au cours de la fraye 2007 (dont est issue cette cohorte) en impactant sur la réussite de cette fraye (ponte, gestation, éclosion ou premiers stades alevins). Une étude spécifique des conditions de météorologie, de débits et de la qualité de l'eau durant cette période, seraient nécessaires pour en déterminer la cause réelle.
B/ Comparaison des effectifs par cohorte :
Les effectifs des cohortes 1, 2 et 3 sont identiques pour les deux parcours (à 1 ou 2 individus près, voir Tableau n°1)
Cependant, à partir de la cohorte 4, on observe une nette chute des effectifs sur le parcours « normal » (on passe de 29 individus en cohorte 3 à 7 individus en cohorte 4) alors que l'effectif de cette cohorte sur le nokill est supérieur à celui de la cohorte 3 (on passe de 27 à 34 individus).
Notons que la cohorte 4 est la première cohorte soumise à la pression de pêche. La taille des individus est comprise dans un intervalle allant de 27 à 33cm (Taille minimale de capture = 25cm)
L'hypothèse privilégiée est donc que l'absence de prélèvements sur le parcours « nokill » permet à cette cohorte de conserver un effectif élevé (34), alors même que l'effectif est réduit à 7 individus sur le parcours « normal » soumis à la pêche.
On observe que la cohorte 5 (comprenant les truites les plus âgées de la population) est soumise à la même influence : 7 individus sur le parcours « nokill » contre 1 seul sur le parcours « normal ».
C/ Croissance :
Les résultats démontrent une différence de croissance entre les individus du parcours « nokill » et ceux du parcours « normal ». On remarque aussi que l’écart de taille entre deux mêmes cohortes (mais issues d’un parcours différent) augmente avec l’âge des truites. Cette différence est certainement due à la disparité morphologique des deux parcours.
Le parcours « normal » est situé sur la partie aval du tronçon de l’AAPPMA alors que le nokill est en amont. La largeur moyenne et la profondeur sont supérieures sur le parcours normal que sur le nokill (8m/55cm contre 6m/35cm). De ce fait, le parcours « normal » satisferait plus à la croissance que le parcours « nokill ».
Ces variations de croissance avaient déjà été remarqués lors de l'analyse des résultats de mai 2008.
3) Prédation et Cannibalisme :
Lors de la mise en place du parcours « nokill », de fortes interrogation avaient été soulevées concernant les possibilités de cannibalisme entre les truites âgées (dont l'augmentation de l'effectif est aujourd'hui avérée sur le dit parcours) et les juvéniles.
Les résultats de cette année permettent donc de mettre fin aux doutes qui avaient été émis.
Malgré la présence de nombreuses truites âgées sur le « nokill » (si l'on considère les cohortes 4 et 5, l'effectif est 5,125 fois supérieur sur le nokill que sur le « normal »), on observe que les « jeunes » truites (soit les cohortes 1,2 et 3) sont présentes dans des effectifs identiques sur le « nokill » et le « normal ».
Donc, la présence des grosses truites n'impacte pas négativement sur la population de truites « jeunes » car il y a autant de « jeunes » truites sur le « normal » et sur le « nokill », alors même qu'il y a 5 fois plus de grosses sur le « nokill ».
CONCLUSION :
Les résultats nous permettent d'établir un diagnostic comparatif des parcours après 2 saisons de « nokill ».
Les résultats démontrent une hausse évidente de l'effectif de Salmo trutta fario dans le parcours « nokill » (de 75 ind en 2008 à 125 ind en 2009) malgré une stagnation d'effectif dans le parcours « normal ». Après deux saisons, le parcours « nokill » présente un effectif supérieur de 31% à celui du parcours « normal »
Sur les deux parcours, on observe que la cohorte 2 (issus de la fraye 2007) présente un effectif nettement déficitaire, due à un épiphénomène intervenu lors de la fraye (car aucune autre cohorte n'est impliquée). Cet épiphénomène ne semble pas s'être reproduit lors de la fraye 2008, au vue des effectifs présents de la cohorte 1. Il semble évidemment impossible que la mise en place du parcours « nokill » soit en relation avec cet épiphénomène.
Alors que les effectifs des cohortes 1, 2 et 3 sont identiques sur les deux parcours, on note qu'à partir de la cohorte 4, les effectifs sont 5 fois supérieurs sur le « nokill ». Il apparaît donc que l'absence de pression de pêche implique cette hausse flagrante d'effectifs, sans pourtant avoir un impact sur les truites plus jeunes (cohortes 1, 2 et 3). Finalement, l'étude révèle l'absence de prédation conséquente des truites âgées sur les jeunes puisque les cohortes 1, 2 et 3 ne sont pas impactées par la hausse de l'effectif des cohortes 4 et 5.
A la vue des résultats obtenus et en attendant les résultats de l'année prochaine, l'analyse ne peut donc conclure que sur une réussite du parcours « nokill »
ROMAIN Mathieu
Novembre 2009